- Ecole militaire d'infanterie cherchell - 1942 - 1962

L'ADMISSION

Période 1942-1945

Peu avant la création d'une école de formation d'élèves-officiers, le général Sevez, Chef d'Etat-Major, par ne fiche datée du 23 novembre 1942 adressée au Général Commandant en Chef des Forces Terrestres et Aériennes en Afrique (Giraud) préconisait de prendre des mesures d'urgence. Après avoir déclaré :« Il semble que l'Afrique, coupée de la Métropole, manquera d'éléments français pour encadrer l'Armée dont la mise sur pied est envisagée»; il propose : ...pourraient être dès maintenant formés en vue du rôle futur qu'ils auront à remplir:
1°Les candidats admissibles aux concours de 1941 et 1942 de Saint-Cyr et Polytechnique seraient déclarés admis et versés dans un peloton destiné à les former rapidement comme chefs de section, et pourraient être nommés aspirants d'active dans le courant de janvier, affectés dans les Corps de Troupe et ultérieurement nommés sous-lieutenants d'active.
2° Les autres candidats, âgés de 18 ans au minimum et possédant la 2e partie(math) du baccalauréat devraient subir un examen d'instruction générale. Ceux qui obtiendraient une note suffisante suivraient un peloton analogue à celui de la première catégorie, après un engagement pour la durée de la guerre. Ils seraient nommés aspirants d'active courant février et versés dans une unité combattante.
3° Ultérieurement les mêmes mesures pourraient être étendues aux candidats des Grandes Écoles civiles et des Facultés.
La proposition d'un stage très court, un à deux mois, ne fut pas retenue. Certes il y avait urgence et le temps long de formation du temps de paix était à exclure, mais il convenait néanmoins que l'enseignement dispensé, même allégé de certaines matières, soit suffisamment solide pour permettre aux futurs aspirants de conduire au combat sections et pelotons.
L'admission à la première promotion « Weygand » porte la marque d'une France coloniale faisant la discrimination entre français et indigènes .
En application des instructions du Général d'Armée Giraud, Commandant en Chef des Forces Terrestres et Aériennes une directive du 30 novembre 1942 signée du Général d'Armée Prioux, major- général, décide que « la faiblesse relative du nombre des Français en Afrique impose de ne laisser perdre aucun élément susceptible d'encadrer les indigènes.»
Mais les critères d'admission sont vagues. La directive dispose que :
«En conséquence, les Hautes Autorités destinataires voudront bien faire rechercher dans les jeunes classes au fur et à mesure de leur appel ou de leur rappel, les individus français qui en raison de leurs titres ou de leur formation seraient susceptibles de fournir à l'Armée :
-des jeunes officiers
-des sous-officiers.»
Les titres et la formation ne sont pas précisés. Toutefois la Directive poursuit en visant particulièrement les jeunes gens ayant servi dans les chantiers de jeunesse et ayant fait preuve de leurs qualités de commandement. La Directive mentionne également «les candidats aux Grandes Ecoles Militaires de Polytechnique et Saint-Cyr, admissibles aux concours de 1941 et 1942 » qui seront admis d'office.
Les critères de recrutement des élèves sont repris dans la note d'instruction du 6 12 1942 signée par le général Prioux.(Voir Historique).
L'Infanterie représente 43,5% de la promotion de Cherchell, 47,7% de celle de Médiouna. La nécessité de ne pas dépouiller les cadres de l'armée fait limiter le volume des propositions de militaires. Les civils subissent une instruction de base accélérée de huit semaines avant d'entrer le 1er janvier 1943. Le déchet est assez important, 633 aspirants sur 1101 admis, sortent le 30 avril 1943.

A partir de la deuxième promotion «Tunisie» , tous les élèves sont regroupés à Cherchell sous le commandement du lieutenant-colonel d'infanterie Guillebaud. Cette promotion compte 36,3% de fantassins; sur les 826 élèves entrés le 15 mai 1943, 443 sortiront aspirants le 30 septembre

Ensuite, c'est la troisième promotion,«Libération», que prendra à son commandement le lieutenant-colonel de l'ABC Huguet: 919 élèves le 15 octobre 1943, 536 aspirants le 15 mars 1944.

Puis la quatrième « Marche au Rhin», 782 élèves le 8 mai 1944, 544 aspirants le 20 octobre. Dans toutes ces promotions, il y avait outre les civils mobilisés et les gradés de l'armée de nombreux évadés de France, dont plusieurs élèves militaires rendus à la vie civile par l'occupation totale du territoire métropolitain.

La cinquième et dernière promotion, « Rhin Français», eut un recrutement particulier car dans une sorte de fourre-tout, on y envoya les catégories précédentes: militaires, jeunes civils mobilisés, évadés de France, mais aussi, la France métropolitaine étant libérée, tous les élèves des grandes écoles militaires ou soumises à l'instruction militaire obligatoire. A ce titre, à côté des saint-cyriens et des polytechniciens, il s'y trouve des normaliens* et des ingénieurs.L'école est rebaptisée "Ecole Militaire Interarmes". Parmi les arrivants, il y a des officiers FFI, des militaires ayant combattu en Italie et en France. Pour couper court à toute contestation, le port des insignes de grade est suspendu jusqu'à la fin des cours et le port des décorations n'est autorisé que le dimanche. Les 1573 élèves admis le 1er janvier 1945, mais arrivés pendant le mois de décembre 1944, sortent tous ou presque, mais les uns aspirants les autres sous-lieutenants, lieutenants et même capitaines FFI le 1er juin 1945.

* L’École normale supérieure, après la libération de Paris, se devait de faire preuve de patriotisme car elle avait été dirigée durant l’occupation par Jérôme Carcopino qui avait participé au gouvernement de Vichy. De plus certains de ses anciens élèves, Marcel Déat et Robert Brasillach, avaient été des collaborateurs notoires et emblématiques.
Le successeur de Jérôme Carcopino, Albert Pauphilet, combattant de la Première Guerre mondiale, Croix de guerre en 1915 et Légion d’honneur à titre militaire en 1924, avait été membre du Front national universitaire et avait passé une partie de l’année 1943-1944 dans la clandestinité.
Le blason de l’Ecole devait être redoré, aussi, Pauphilet encouragea les normaliens à participer aux derniers développements de la guerre. Dans les courriers qu’il échangea avec les autorités militaires, il affirma : « l’université se doit d’être présente au combat » et il se félicita de l’attitude des normaliens : « À l’heure actuelle, la jeunesse, et particulièrement cette élite intellectuelle dont j’ai la charge, est animée d’un plus grand désir de combattre qu’aucune des générations précédentes. La proportion très élevée des engagements volontaires le prouve ».
Mis à part ceux de la classe 1943 qui devaient effectuer six mois de service militaire à compter de février 1945 les élèves n’étaient pas tenus de participer à la poursuite du conflit. Néanmoins, certains en firent le choix. «Trente et un normaliens rejoignent l’École interarmes de Cherchell, en Algérie. Ils y suivent une formation militaire intensive entre décembre 1944 et mai 1945, dont ils sortent avec le grade d’aspirant». (« Les Normaliens dans la tourmente (1939-1945) Histoire de l’ENS» Stéphane Israël)
D’autres normaliens craignant de voir la guerre se terminer sans qu’ils puissent y participer, refusèrent d’aller à Cherchell, et décidèrent de rejoindre des formations combattantes dès l’automne 1944.

Le cas des élèves indigènes : Sur les cinq promotions représentant au total 5105 élèves il n'y eut que 19 élèves indigènes soit 0,37% de l'effectif.
Deux écoles en Afrique du Nord formaient des aspirants indigènes d'active :
L’école des élèves-officiers indigènes d’Algérie et de Tunisie (E.O.I.A.T) : créée à Hussein-Dey en octobre 1942, sous le régime de Vichy. Etaient admis les « fils de grande tente». Le Comité Français de Libération Nationale maintint cette école qui fut transférée en 1943 à Bou-Saada.
L’école militaire des Elèves-Officiers marocains de Dar Beïda (Meknès)   : sur l’initiative du général Lyautey, Résident général de France, une décision ministérielle, datée du 3 septembre 1918, autorisa la création de l’École, qui ne commença à fonctionner qu’en juillet 1919, après avoir obtenu l’aval du sultan Moulay Youssef.
Le but de cette école était de former des officiers d’infanterie et de cavalerie futurs chefs de section et de peloton, de même origine ethnique et religieuse que les troupes qu’ils étaient destinés à encadrer, spahis et de tirailleurs de l’armée française.
Le recrutement était élitiste, selon la conception aristocratique de Lyautey qui insistait sur le respect de la religion, de la langue et des traditions, et répondait également à un but politique, celui de s’assurer du loyalisme des grandes familles à l’égard de la France.
Les élèves étaient choisis, après un premier tri, par le Résident général, parmi les fils des grandes familles et des classes dirigeantes. Après avoir servi dans l’armée, Ils exerçaient ensuite, des fonctions administratives, telles que pachas ou caïds.
Le nombre des élèves admis était très limité si bien qu’au 1 er janvier 1953, l’École n’avait formé que 200 officiers.
À l’indépendance du Maroc, Dar Beïda est devenue l’Académie royale militaire, qui poursuit sa mission de formation d’officiers dans les différentes armes.

Sources :
Archives, Service Historique de la Défense, Vincennes
Article du colonel (E.R) P.Carles,« Un curieux drapeau de Cherchell » Bulletin de l'association des Amis du Musée de l'Infanterie, 1er semestre 1991-N°20


Période 1946-1962

Les élèves admis à suivre le stage d’Élève Officier de Réserve (E.O.R.) provenaient de sources différentes.Les jeunes gens ayant obtenu le Brevet de Préparation Militaire Supérieure (P.M.S.) étaient incorporés directement à l’Ecole.Les jeunes soldats sélectionnés dans leurs Corps de Troupe et ayant satisfait à des tests (épreuves physiques et tests psychotechniques, de langage, etc.) ou à un stage préparatoire étaient alors dirigés sur Cherchell. D’un niveau intellectuel souvent élevé et d’une culture générale étendue, les Élèves Officiers de Réserve arrivaient à l’Ecole avec une formation militaire élémentaire, homogène et pratique pour ceux provenant des Corps de Troupe, plus variable et essentiellement théorique pour les brevetés P.M.S.Ils représentaient une gamme extrêmement variée des diverses activités sociales et apportaient, avec la générosité de leur jeunesse, la marque d’une personnalité qui ne demandait qu’à s’affirmer.

Sources :
Brochure « De Césarée à Cherchell », 1961


Tu es soldat

Les EOR passés par les Corps de Troupe recevaient lors de leur incorporation une brochure dont les premiers mots étaient :
"Tu viens d'arriver à la caserne et tu as un"sacré cafard".Tu te sens dépaysé, perdu.Tu penses à ta maison, à tes parents, à tes copains; peut-être à ta fiancée; tu te demandes quand tu les reverras."


L'EOR cet inconnu...

C'est le titre d'un article signé J-P Gaullier dans Citadelle de décembre 1958.
L'auteur a effectué une étude statistique portant sur quatre promotions de l'année 1958 : 803, 804, 806 et 901.
Derrière l'uniforme égalisateur des différences apparaîssent : d'âge, de situation familiale, de niveau d'études, de professions.

Répartition par âge :

les âges s'échelonnent de 20, âge légal du service, à 27 ans, limite des sursis. La tranche des 20 ans, ceux qui ont sans doute voulu «en finir» le plus rapidement possible avec l'obligation militaire, représente 20,2%. De 20 à 25 ans le total est de 89,1%. Et les 25 et 26 ans sont 10,1%.
L'âge moyen de l'EOR calculé pour la seule 901 est de 22 ans 10 mois.

Situation familiale à l'arrivée à l'armée :

célibataires , 86,4%; mariés, 13,6% dont 8% pères de famille.

Degré d'instruction :

BEPC et Baccalauréat : 61%; études supérieures : 22%; études techniques (ingénieurs, chimistes, géomètres etc) 17%.

Répartition par professions :

enseignement 25,5%, techniciens 21,5%, étudiants 22,5%, administration 11%, professions libérales 4%, clergé 3%, commerce et agriculture 6% employés 4,5% et enfin artistes 1%.

Arrivée à Cherchell

Pour faire un officier,il faut avoir le don, façonné par le métier. Charles de Gaulle

« —Ho ! Ne mange pas toute la boîte ! Laisse m’en un peu !» Je tendis l’objet du litige à Philippe qui, d’un doigt preste, réussit à en extraire la crème de marron qui adhérait encore aux parois et au fond. C’était tout ce qu’il restait des délicatesses qu’on nous avait exceptionnellement autorisés à choisir nous-mêmes dans les réserves de l’Ordinaire, à notre départ de Nouvion. Désormais,notre subsistance serait assurée à Cherchell où nous emmenait un autocar de l’École Militaire, précédé d’un « six six(1)» sur la cabine duquel un fusil-mitrailleur en batterie, abrité par un petit bouclier d’acier, pointait à toutes fins utiles vers d’éventuels assaillants.

Depuis Relizane, dans les wagons métalliques brillants du Transalgérien, précédés, à l’avant de la locomotive, d’une plateforme chargée de ballast,pour faire exploser les mines qui auraient pu être placées sur la voie, et protégés par une section d’escorte installée dans le fourgon de queue, nous avions traversé des plaines monotones, suivi longuement le Chéliff aux eaux sales, regardé défiler d’inquiétantes montagnes boisées, hérissées de place en place de petits postes militaires accrochés au sommet de pitons rocheux, comparé des mechtas en béton, en torchis ou en roseau, à de somptueuses villas ou de mesquines maisons, des villes sereines, avec leur petite gare très provinciale, où se côtoyaient Européens en veston et Arabes en djellaba, à de misérables bidonvilles pourrissant sous le ciel gris...
Et puis nous avions débouché dans l’opulence du Sahel. Blida —une pensée pour Gide. Maison-Carrée. Alger, enfin, dont les faubourgs nous avaient offert le spectacle curieux de grands immeubles modernes dominant d’étonnantes constructions de plain-pied —juxtaposition de demi-cylindres de béton couchés côte à côte, crépis de blanc et percés sur le devant d’une porte de style mauresque —où des indigènes aux revenus modestes devaient pouvoir vivre convenablement, tout en respectant la tradition musulmane, sans avoir pour autant la possibilité d’échapper aux contrôles policiers aussi facilement que dans le labyrinthe de la Casbah.
Nous étions à peine descendus du train, dans nos tenues 46 sans insignes, coiffés du calot de drap kaki, notre valise à la main, qu’un caporal-chef était venu nous prendre en charge pour nous conduire séance tenante au dépôt militaire de la gare maritime où l’on nous avait retenus prisonniers derrière les grilles jusqu’au milieu de l’après-midi. Nous avions eu tout le loisir de jouir du spectacle des docks, de voir s’agiter tout un peuple de dockers en fez rouge parmi des entrepôts métalliques modernes ou des hangars plus anciens, soutenus par des arceaux de bois; de regarder, à l’heure de la prière, un vieil Arabe au chèche crasseux se prosterner vers l’est, au milieu d’un quai, après s’être livré aux ablutions rituelles à l’aide de l’eau contenue dans une petite boîte à conserve...

Pour la première fois, nous avions eu vraiment l’impression d’être dans une ville arabe. Cette impression n’avait pu que se trouver confirmée lorsque nous étions allés boire un soda au Foyer du Tirailleur, sombre pièce au plafond bas où quelques soldats musulmans, assis sur des billes de bois autour de tables basses, jouaient aux dominos en buvant à petites gorgées leur café ou leur thé à la menthe, tandis qu’un phonographe vétuste grésillait une interminable mélopée ...
Vers seize heures, enfin, on nous avait regroupés pour nous faire monter, avec d’autres qui venaient d’arriver, dans l’autocar qui nous emmenait à présent. Curieux de notre avenir, nous examinions avec le plus grand intérêt ceux qui étaient venus nous chercher. Le sous-lieutenant qui avait pris place auprès du chauffeur, ainsi que deux E.O.R. qui sortaient de l’hôpital et bavardaient avec lui étaient coiffés d’un calot bleu-ciel comme celui que nous avions laissé au 21ème R.T.A., mais sans le fond jaune.
Les E.O.R. portaient sur le bras gauche un écusson du même bleu, orné d'une grenade jaune surmontée d’un curieux galon blanc dans lequel courait un fil rouge et, sur la droite de la poitrine, un écusson métallique où une grenade d’or éclatait sur champ d’azur, entre deux colonnes corinthiennes argentées, au-dessus d’une banderole marquée du nom de Cherchell.

Le calot, l'épaulette et l’insigne L’écusson de drap

Tels étaient donc les attributs que nous aurions le droit d’arborer bientôt au cours de nos sorties. Mais nous pressentions qu’il nous serait donné plus souvent de sortir dans la tenue de combat des hommes d’escorte, dont les cartouchières de cuir à bretelles avec leurs nombreuses poches nous intriguaient —nous n’avions porté à Nouvion que des cartouchières aux dimensions plus modestes, simplement passées dans le ceinturon. Nous suivions la côte de Turquoise. Par-delà les vitres, sur la droite s’étalait la mer que la route en corniche surplombait; sur la gauche, des pins parasols et des chênes-lièges escaladaient de petits massifs montagneux. Chaque virage renouvelait le spectacle et nous nous surprenions à regretter que le soleil fût absent et qu’il ne nous fût pas permis de nous arrêter là, dans une crique, pour y jouir en toute sécurité d’une paisible existence de touriste...
Après avoir entrevu au passage les ruines romaines de Tipasa, nous avons quitté la côte pour contourner, à travers une plaine, l’inquiétant Chénoua tout vert que nous allions bientôt découvrir à pied. Au crépuscule, nous franchissions notre dernier barrage routier, derrière lequel des hommes de la Territoriale et des gendarmes mobiles contrôlaient l’entrée dans Cherchell par une monumentale porte de pierre. Le chauffeur fit grincer ses vitesses, s’engagea à gauche dans une rue qui montait fortement et prit la direction de l’École Militaire où nous étions attendus.

1/ Véhicule tous-terrains pouvant transporter, sur deux banquettes latérales se faisant face, deux fois six hommes.

Jean Mourot
SOUS LES DRAPEAUX DE DEUX RÉPUBLIQUES
(Extrait de À Cherchell avec ceux de la 803)